LâĂ©volution du fret ferroviaire en France depuis dix ans contraste spectaculairement avec la tendance observĂ©e sur la plupart des marchĂ©s dâEurope occidentale. Selon Eurostat, le dĂ©clin du trafic en t.km, entre 2003 et 2013, atteint 32 % dans lâHexagone alors quâil reste Ă©tale en Italie (- 0,5 %), progresse au Royaume-Uni (+ 15 %) et sâaccroĂźt significativement en Allemagne (+ 40 %). Sâappuyant sur lâanalyse dĂ©veloppĂ©e en 2013 par le rapport du sĂ©nateur Roland Ries, plusieurs acteurs du rail ont cru pouvoir en conclure que lâouverture Ă la concurrence du fret ferroviaire français en 2006 nâavait pas eu lâeffet de dynamisation escomptĂ© â les plus critiques allant mĂȘme jusquâĂ affirmer que la concurrence en avait accentuĂ© le dĂ©clin. Ces thĂšses ont Ă©tĂ© infirmĂ©es par plusieurs travaux, parmi lesquels ceux du professeur Yves Crozet, du Laboratoire dâĂ©conomie des transports (LET). Celui-ci constate que le fret ferroviaire français avait dĂ©jĂ vu son activitĂ© dĂ©cliner de 30 % entre 2000 et 2005 et que lâarrivĂ©e des nouveaux entrants a permis de limiter ce dĂ©clin.
LâactivitĂ© pĂ©nalisĂ©e par lâĂ©tat de lâinfrastructure et par le prix de sillons
Le rapport sur lâĂ©volution du fret terrestre Ă horizon dix ans du Conseil gĂ©nĂ©ral de lâEnvironnement et du DĂ©veloppement durable (2010) rappelle que « les chargeurs se dĂ©terminent sur les exigences de leur chaĂźne logistique ». Or la qualitĂ© de service que les entreprises ferroviaires sont capables de garantir dĂ©pend largement de celle des prestations quâelles incorporent Ă leur production de transport.
LâĂ©tat des lieux du fret ferroviaire en Europe rĂ©alisĂ© par Bain & Compagnie en 2012 juge ici que lâactivitĂ© en France est « particuliĂšrement pĂ©nalisĂ©e par lâinfrastructure », du fait :
âą dâun rĂ©seau en Ă©toile comptant de nombreux points de congestion ;
âą dâune gestion des sillons pĂ©nalisĂ©e par la « prioritĂ© voyageurs », la rigiditĂ© des rĂ©servations et la multiplication des sillons prĂ©caires ;
âą du rattrapage de dĂ©cennies de sous-investissement par des chantiers dont lâimpact sur la circulation est allĂ© croissant jusquâen 2011.
Le facteur « prix » pĂ©nalise aussi cette compĂ©titivitĂ© du rail dĂ©jĂ mise Ă mal par la qualitĂ© du service fourni aux opĂ©rateurs. Lâexplosion des coĂ»ts de sillons (+ 18 % en moyenne annuelle entre 2003 et 2008 puis + 4 % par an entre 2008 et 2011) a fortement nui Ă cette compĂ©titivitĂ© et a fait perdre au rail des parts de marchĂ© face Ă la route.
Une sous-estimation des externalités positives du fret
En dĂ©pit de cette politique tarifaire, le gestionnaire de rĂ©seau RFF a vu ses revenus tirĂ©s du fret sâeffondrer (selon RFF, ils ont Ă©tĂ© divisĂ©s par trois depuis 2009, passant de 1 milliard Ă 365 millions dâeuros). Ce manque Ă gagner â conjuguĂ© Ă un niveau dâendettement record â conduit aujourdâhui le gestionnaire dâinfrastructure Ă remettre en cause la maintenance des lignes les moins rentables, au premier rang desquelles les quelque 4 200 km du rĂ©seau capillaire â dont 1 500 km doivent impĂ©rativement ĂȘtre rĂ©novĂ©s (source AFRA).
Mais lâapprĂ©ciation de la rentabilitĂ© intrinsĂšque de ces infrastructures nĂ©glige leurs externalitĂ©s positives :
âą on estime, en moyenne, quâ1 t.km sur le rĂ©seau capillaire gĂ©nĂšre 20 t.km sur le rĂ©seau principal et que le trafic induit par ces infrastructures dĂ©passe 15 % du trafic total (source AFRA) ;
âą le rĂ©seau capillaire connecte au rĂ©seau principal des activitĂ©s Ă©conomiques liĂ©es aux territoires : cĂ©rĂ©ales, carriĂšres, bois, eaux de source⊠Aujourdâhui, par exemple, le fabricant de biĂšre amĂ©ricain O-I (Owens-Illinois) remplit quotidiennement un Ă deux trains de bouteilles en verre dont la production est assurĂ©e par sa verrerie de Gironcourt. La rĂ©novation de la ligne entre Gironcourt et NeufchĂąteau est capitale pour lâĂ©conomie locale. Câest donc un sujet sensible pour les collectivitĂ©s comme pour les chargeurs. Les pouvoirs publics doivent se donner les moyens dâatteindre leurs objectifs de report modal.
Un systĂšme pourtant performant
Les facteurs critiques sâaccumulent. LâAFRA sâinquiĂšte notamment de la multiplication des contraintes financiĂšres : absence de solution sur les 44 milliards de dette du systĂšme ferroviaire ; baisse de 61 % en cinq ans des subventions aux opĂ©rations de rĂ©seau (source RFF) ; suppression annoncĂ©e des compensations financiĂšres du coĂ»t des sillons de fret ; remise en cause des « aides au coup de pince » bĂ©nĂ©ficiant au transport combinĂ© ; risque de baisse de la compĂ©titivitĂ© des entreprises ferroviaire du fait dâune nouvelle organisation du travail. Ce mĂȘme systĂšme dĂ©montre pourtant son aptitude Ă la performance dans au moins trois domaines (source SOeS) :
⹠un transport combiné par conteneurs (+ 4,5 % en 2013) qui a déjà sensiblement dépassé ses niveaux de 2008 ;
âą un transport international (+ 14,4 % en 2013) qui enregistre une progression Ă deux chiffres depuis la fin de la crise de 2008 ;
âą un transport par les entreprises ferroviaires privĂ©es (+ 16,2 % en 2013) qui reprĂ©sente aujourdâhui plus dâun quart du marchĂ©. Il revient aujourdâhui à « lâĂtat stratĂšge » de tirer les leçons de ces rĂ©ussites. De sâinspirer aussi des pays qui ont, non seulement prĂ©servĂ© leur systĂšme ferroviaire, mais aussi dĂ©veloppĂ© â malgrĂ© la baisse de la production industrielle â la part modale du rail dans le transport terrestre de marchandises.