SNCF Réseau creuse ses pertes en 2015

28 mars 2016 | Actualités du ferroviaire

La SNCF a annoncé pour la première fois, le 7 mars dernier, des résultats consolidés pour 2015 regroupant ceux de SNCF Réseau et SNCF Mobilités, conformément à la loi portant réforme ferroviaire du 4 août. Ces résultats se sont traduits par une perte de 12,2 milliards en 2015, en raison de dépréciations d’un montant équivalent : à savoir 9,6 milliards pour SNCF Réseau et 2,2 milliards pour SNCF Mobilités. La SNCF a justifié ces dépréciations par le besoin d’harmoniser les normes comptables, visant notamment à unifier sur une durée de 15 ans, les prévisions des péages versés à sa division Réseau. Au second semestre 2015, une trajectoire financière, portant sur les quinze prochaines années, a en effet été élaborée avec l’Etat. La traduction chiffrée des hypothèses structurantes de cette trajectoire a servi de base au test de dépréciation des actifs, dont le résultat a été validé par le conseil d’administration de la SNCF du 9 mars 2016. Ce test consiste à déterminer une valeur recouvrable à fin 2015 des actifs (en fonction des hypothèses de la trajectoire 2016-2030), et de la comparer avec leur valeur comptable. Concernant le réseau ferré national (RFN), les calculs ont été réalisés sur la base de l’activité des lignes en service et des encours de régénération (33,4 Md€ net de subventions). Ainsi, la valeur comptable est-elle déterminée en fonction des projections de flux de trésorerie du budget 2016 et de la trajectoire économique 2016-2030. L’année 2030 (normative) représente ainsi « l’année pour laquelle l’entreprise considère l’état d’un réseau régénéré eu égard aux objectifs de performance et de sécurité partagés avec les pouvoirs publics ».

Pour l’opérateur historique, il s’agit là d’une année «de consolidation». Et de préciser : « La fin des investissements sur les projets de lignes à grande vitesse, source historique de la dette du groupe, « devraient alléger les coûts de 2 milliards d’euros d’ici 2020 ». Représentant le principal actionnaire de la SNCF, l’Etat, le secrétaire d’Etat aux Transports, Alain Vidalies, s’est également voulu rassurant devant l’Assemblée nationale, le 9 mars dernier, en qualifiant cette opération d’écriture « comptable » qui n’a « pas beaucoup de conséquences sur l’activité ».

La dépréciation importante des rames de TGV dans les comptes,témoigne cependant de perspectives de rentabilité moindres pour l’opérateur historique. D’autant que le TGV est l’unique service de la SNCF qui paye encore un tarif de péage correspondant aux besoins d’entretien et de modernisation du réseau (4,9 milliards d’euros en 2016). Interrogé par le quotidien Les Echos, le 12 mars dernier, le consultant et économiste des Transports, Patrice Salini estime en effet que « le système ne peut plus payer ses coûts, ne sait plus financer les nouvelles infrastructures ferroviaires, ni même l’entretien du réseau ». Et celui-ci de remarquer que ces ajustements comptables montrent que l’opérateur historique « n’a quasiment plus de capitaux propres ».

Une règle d’or sur les investissements difficile à respecter

Reste à savoir si la SNCF pourra stabiliser sa dette en 2020, un objectif visé au moment de l’annonce de la réforme ferroviaire, entérinée par la loi du 4 août 2014. La règle d’or pour les investissements, fixe le plafond d’endettement à 18 fois la marge opérationnelle, seuil à partir duquel le gestionnaire d’infrastructure ne peut théoriquement plus co-financer de nouveaux projets. Au regard des comptes de SNCF Réseau, on peut sérieusement en douter. Ce ratio qui était de 16.6 en 2014, s’est élevé à 19.4 l’an dernier. Et SNCF Réseau a annoncé une nouvelle aggravation de son endettement, qui a progressé de 36.7Md€ à 39.3 Md€ en 2015 tandis que le budget 2016 prévoit, d’ores et déjà, une nouvelle dégradation de sa dette.

Sur la période fin 2009- fin 2015, la dette nette consolidée de SNCF Réseau (ex RFF) a progressé de 15 Md€, alors que le gestionnaire a investi 30Md€ sur la période (soit 18Md€ net des contributions des co-financeurs des projets). Rien que sur l’année 2015, SNCF Réseau a investi 6 milliards d’euros, pour moitié sur la modernisation du réseau et dans les projets de développement.

La réforme ferroviaire n’apporte pas les changements escomptés

Au regard du tableau des flux financiers consolidés de SNCF Réseau, le besoin de trésorerie lié aux investissements s’est élevé en 2015 à 4Md€. Or, dans les conditions actuelles d’exploitation, SNCF réseau ne dégage qu’1 Md€ de trésorerie par an, une fois payé ses frais financiers. Ce déséquilibre est et reste donc structurel, s’inquiètent les spécialistes. D’autant plus que l’Etat a progressivement transféré l’ensemble de ce fardeau financier sur SNCF réseau : la subvention d’exploitation versée au gestionnaire d’infrastructure qui s’élevait à 2.4milliards d’euros en 2009, est passée à presque zéro l’an dernier (31 millions, au seul titre d’une compensation fret elle-même largement érodée, passant de 193 M€ en 2010 à 31M€ l’an dernier).

La situation est à ce point préoccupante que les gains de productivité escomptés ne suffiront pas à redresser l’endettement catastrophique de SNCF Réseau. Les économies annuelles visées de 500M€ liée aux gains de productivité sont liées pour moitié aux achats, à l’instar du contrat d’achat de rails à Tata Steel-Hayange, et au travail. Ce gain de productivité annoncé correspond environ à 2% l’an d’ici 2020. Si l’on tient compte de l’évolution du point d’indice de la rémunération des fonctionnaires et d’un GVT** très élevé de 2%, les gains de productivité sont annihilés par la hausse des salaires alors que le gestionnaire d’infrastructure n’a pas de marge de manœuvre sur la tarification sans fragiliser les revenus des entreprises ferroviaires.

Un défi de taille pour le successeur de Jacques Rapoport

Attendu dans deux mois, le successeur de Jacques Rapoport à la tête de la SNCF Réseau, aura fort à faire pour redresser les comptes. Avec un chiffre d’affaires qui augmente de 4 % à 6.26Md€ et de seulement 1 % en proforma (avec les effets de la réforme au 1/1/2014 pour les deux exercices), SNCF Réseau a affiché en 2015 une marge opérationnelle quasiment stable à 2.1Md€ mais le ROC (résultat opérationnel courant) ressort en baisse de 17% à 952 M€, contre 1.152 milliard € un an plus tôt en raison de la hausse des amortissements (liée aux investissements mis en service). Hors provision pour dépréciation des actifs de 9.6Md€, le résultat net de SNCF Réseau demeure dans le rouge (- 0.3Md€ vs – 0.2Md€).

Jean Pierre Farandou l’actuel patron de Keolis dont la candidature a été approuvée par le conseil de surveillance de SNCF avec l’aval de l’Etat, doit encore obtenir l’accord de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) dirigée par Pierre Cardo puis du parlement (Assemblée Nationale et du Sénat). Ingénieur des Mines âgé de 58 ans, Jean-Pierre Farandou est entré à la SNCF en 1981. Il a participé au lancement de la ligne TGV Paris-Lille et du Thalys, avant de diriger SNCF Proximité (TER, Intercités, Transilien) de 2006 à 2012. Il y a quatre ans, il avait pris la présidence de Keolis.

Selon les experts, si le professionnalisme de Jean Pierre Farandou est reconnu par le secteur ferroviaire, sa proximité avec SNCF Mobilités pourrait remettre en cause sa nomination à la tête de SNCF Réseau. Il n’est pas sûr que le régulateur donne son accord à une telle nomination.

** Glissement Vieillissement Technicité : avancement Vieillissement quasi automatique lié à la grille indiciaire, avancement Technicité (changement de grade, promotion). Hausse de la masse salariale automatique liée à l’avancement de l’âge.

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